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Fototesto, paesaggio ed espressione editoriale – Compte rendu de la journée d’étude

Le vendredi 7 février 2025 s’est tenue à Gênes une journée d’études intitulée « Fototesto, paesaggio ed espressione editoriale » à l’Université de Gênes, organisée par Elisa Bricco, Marie Gaboriaud et Clément Paradis.

Elle fait suite aux travaux menés depuis de nombreuses années par Elisa Bricco et l’équipe de l’ARGEC (Atelier de Recherche Génois sur les Ecritures Contemporaines), qui se sont concrétisés notamment par le volume collectif Raccontare con la fotografia publié à la Genova University Press en 2021. Elle s’inscrit également dans le projet Fototesti : retoriche, poetiche e aspetti cognitivi (PRIN 2020) qui réunit des chercheurs des universités de Gênes, Catane, Palerme et Parme.

La journée du 7 février, co-financée par le Bando Cassini de l’Institut français, l’Ateneo de l’UniGe et le PRIN 2020, entendait se pencher sur un angle mort des précédents événements scientifiques menés depuis 2023 à Palerme, Urbino, Gênes et Parme : la question éditoriale des phototextes. Des discussions étaient en effet nées lors des précédentes rencontres, sur le rôle des différentes instances à l’œuvre dans le discours du phototexte : non seulement le photographe et l’auteur, lorsqu’ils sont différents, mais aussi le directeur de la collection, le graphiste, voire les collectivités publiques ou privées impliquées dans le financement des résidences d’artistes et des produits qui en dérivent. L’idée était donc de faire dialoguer chercheurs et professionnels de la photographie et de l’édition, pour tenter de répondre à certaines questions, notamment : quel rôle jouent les différentes instances du monde de l’édition dans la forme finale du livre ? quelles sont les négociations nécessaires aux auteurs ? le format livresque va-t-il de soi pour la photographie ? La journée était en outre dédiée aux « Géo-phototextes » qui réfléchissent sur les territoires fragiles, comme les espaces aquatiques et montagneux, afin d’orienter la réflexion vers des enjeux collectifs actuels. Pour dialoguer avec les intervenants, étaient présents, outre les organisateurs, Chiara Rolla (UniGe), Silvia Riva (Università degli studi di Milano Statale), Giulia Iacoli e Davide Papotti (Università di Parma), Gloria Viale (Università di Genova – DIRAAS), devant un public de doctorants, étudiants, collègues et professionnels, sur place ou à distance via la visioconférence.

La matinée était dédiée aux discussions scientifiques, en français et en anglais. L’accent a été mis sur différents projets, achevés ou encore en cours, que l’on pourrait situer du côté de la recherche-action, ou du moins se trouvant à la fois du côté de la production artistique, et de celui de la production scientifique. Danièle Méaux, Professeure émérite de l’Université de Saint-Etienne, a ouvert la journée en présentant le livre Sur les traces du Furan (Filigranes éditions), fruit de sa collaboration avec le photographe Pierre Suchet, paru en novembre 2024, et qu’elle considère comme l’ « autobiographie d’une rivière ».  En effet, le livre suit le cours de cette rivière, qui fut essentielle dans le développement industriel de la ville de Saint-Etienne, de sa source à la confluence avec la Loire. Il en fait l’histoire, qui est aussi celle des communautés qui le bordent, et dont les besoins s’expriment à travers les conflits d’usage dont la rivière est la scène à travers les siècles. Danièle Méaux a proposé une réflexion sur l’origine du format codex, d’abord inventé au 1er siècle avant JC pour reproduire des textes saints, puis devenu à la Renaissance le dispositif matériel de prédilection des œuvres associant divers types de représentation, et permettant à chaque lecteur de tisser des liens qui lui sont propres entre les pages, proposant une tabularité, contrairement au rouleau qui impose la linéarité de la lecture. Le livre de photographie serait donc, dans ce cadre, un « espace potentiel » en cela qu’il accentue la tabularité du livre, s’approchant de l’art architectural, et offrant un espace (qui est aussi un temps) d’interprétation. Il se prête donc particulièrement à la réflexion que l’on peut mener sur le territoire, qui constitue lui aussi un espace complexe offrant la possibilité de l’interprétation et de diversités d’usage.

 

Clément Paradis, chercheur post-doctorant à l’Université de Gênes, présent à distance depuis Lyon, a proposé quant à lui l’analyse du travail de la Lieko Shiga, photographe et land-artiste japonaise. Son livre Rasen Kaigan, constitué d’un album photographique et d’un carnet de textes, prend racine dans un petit village japonais, avant et après le tsunami. Il réfléchit sur le concept de traces, à la fois dans le paysage et sur les photographies (abîmées par l’eau salée), faisant de la photographie elle-même une forme de trace. Les photographies de Lieko Shiga sont le résultat d’un travail de filtres lors de la prise de vue, sans retouches numériques : elles donnent souvent l’impression d’être sous l’eau, brouillant la frontière entre terre et mer.

©Lieko Shiga, Rasen Kaigan

Hilde Van Gelder, Professeure à l’Université de Leuven, en Belgique, a ensuite développé une proposition théorique, celle des « images faibles » (« weak images »), à travers la genèse et l’analyse de son livre Ground Sea, paru en 2021. Il s’agit de l’aboutissement éditorial d’un projet de dix années, d’un objet composite déployant une réflexion sur la photographie qui est tout à la fois historique, philosophique et politique, disponible en open-access. L’intervention de Hilde van Gelder du 7 février s’est concentrée sur la capacité de la photographie à exprimer la faiblesse, la fragilité, la douleur de ceux qui n’ont rien. Le livre Ground Sea est en effet lié à a pratique artistique et photographique de la chercheuse, qui profite de navigations à la voile dans le canal de la Manche pour documenter les tragédies nées des tentatives de traversée de Calais à Douvres par des personnes en migration sur des embarcations de fortune, et de l’indifférence parfois meurtrière face à cette réalité.

Enfin, le chercheur indépendant et photographe Sylvain Maestraggi, de Marseille, a présenté un projet en cours, né d’une enquête sur les cours d’eau de la ville d’Athènes, à partir de la lecture d’un dialogue de Platon relatant une discussion entre Phèdre et Socrate au bord de l’Illissos. Sa pratique photographique se fonde sur la promenade urbaine, au cours de laquelle il part à la recherche des rivières souterraines de la ville. Cette confrontation avec le territoire se nourrit de recherches sur la topographie : les vues d’Athènes qui fleurissent à partir du XVIIIe siècle se concentrent exclusivement sur les ruines architecturales, au détriment des espaces naturels. Sylvain Maestraggi a partagé ses réflexions sur le format final du livre, encore en élaboration, qui mêlera montages photographiques, textes et documents divers, pour s’approcher de l’effet d’un film-essai.

Fleuve Kifissos, Athènes © Sylvain Maestraggi, 2019

La discussion qui a suivi les interventions a mis en évidence le rôle de la mémoire dans l’expérience phototextuelle de la forme codex: mémoire des photographies précédentes, mais aussi mémoire personnelle des lieux. Les méthodologies de construction d’un travail collaboratif entre chercheur et photographe ont également été approfondies, notamment la nécessité de laisser une part de liberté créatrice à ce dernier, et de créer les conditions de rencontres régulières entre tous les acteurs. L’importance de certaines sources a été mise en avant, notamment les travaux de Jean-François Chevrier (Paysages-territoires, 2002), ou plus récemment Stefan Van Thuyne (Moving through the Space of the Picture and the Page, 2022) ou Matt Johnston (Photobooks &: A Critical Companion to the Contemporary Medium, 2021).

L’après-midi a été entièrement consacré à la discussion, autour d’une table ronde entre trois photographes : Gilles Saussier, également enseignant à l’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles, Valentina Vannicola et Marco Zorzanello.

de gauche à droite: Silvia Riva, Sylvain Maestraggi, Gilles Saussier, Marco Zorzanello, Valentina Vannicola et Marie Gaboriaud

Rapports à l’écriture et au format du livre

Valentina Vannicola a basé l’un de ses récents projets sur la reproduction de scènes issues de L’Enfer de Dante (Postcard edizioni, 2011), impliquant toute la communauté du petit village de Tolfa. Si le livre reproduit des extraits du texte, pour la photographe, la forme naturelle de ce projet – et de ses autres projets – est davantage l’exposition, avec ses contenus multimédias. Le livre vient dans un second temps, souvent sur proposition de l’éditeur, pour fixer le moment de l’exposition et toucher un autre public. Marco Zorzanello admet également que le livre n’est pas le média auquel il pense immédiatement. Les trois séries de photographies publiées dans le livre Tourism in the Climate Change Era (André Frère, 2023), et les textes du photographe qui les accompagnent, ont d’abord été pensés pour l’exposition et pour la presse de reportage. C’est seulement dans un second temps, sur proposition de l’éditeur, que le photographe s’est lancé dans l’aventure de la publication. Cependant, il y voit un moyen efficace de clore un projet qui s’étend souvent sur plusieurs années, et de lui donner une forme fixe. Pour Gilles Saussier, la situation est différente : au cours d’une longue carrière de photo-journaliste, il a expérimenté à la fois la division claire du travail dans la presse – celui qui photographie, celui qui écrit – mais aussi le travail collaboratif qui est au centre de la construction du magazine ou du journal. Cependant, il avoue avoir souvent été frustré que dans ce cadre contraint, ses photos soient souvent coupées, réduites, soumises à l’impératif de l’information. Le livre, au contraire, représente pour lui un espace où la photographie peut se déployer, mais aussi cohabiter avec un élément tout aussi important : l’espace. Par exemple, son livre Le Tableau de chasse (Le Point du jour, 2010) documente les conséquences actuelles de la chute de l’URSS en Roumanie en laissant « respirer » la photographie et le texte au contact de l’espace blanc. Par ailleurs, il attend d’un livre de photo qu’’il ne se réduise pas à un catalogue d’exposition, mais qu’il parvienne au contraire à se libérer de la dimension événementielle. 

Le travail éditorial comme dialogue et conflit

Les trois photographes font état de la construction du livre comme d’un travail éminemment collectif, dont ils ne sont pas toujours au centre ni à l’origine, comme V. Vannicola et M. Zorzanello, qui ont été contactés par des éditeurs. Lorsque le photographe a déjà une série photographique finie, et contacte – ou est contacté par un éditeur – pour donner une forme livresque à cette série, les risques de conflit sont nombreux, tant l’image que le photographe se fait de son projet photographique sera modifiée par les impératifs de mise en page et de commercialisation. Les photographies mises en livre n’appartiennent plus au photographe, mais reflètent un réseau de volontés et d’intérêts divers. Marco Zorzanello, dont le travail vise à dénoncer le déni face au dérèglement climatique, souhaitait par exemple que la fabrication du livre soit la plus écologique possible, pour être en adéquation avec son projet photographique : ce genre de demande peut poser des difficultés à l’organisation de la maison d’édition. Tous trois tombent d’accord sur le fait que l’anticipation de la forme finale (exposition, livre, etc.) dès les premiers moments de travail sur un projet permet d’aboutir à des productions plus conformes aux désirs des photographes. 

Le phototexte, entre les champs et les domaines

Tous trois font état de difficultés liées à l’organisation des différents champs entre lesquels ils se meuvent, que sont la littérature, la photographie et l’art contemporain. D’une part, le photographe, s’il prend souvent la plume par besoin de fixer le sens et d’éviter le détournement de ses images, est selon eux souvent suspect quand il écrit : ses photographies ne devraient-elles pas tout dire, sans besoin de commentaire ? Ses livres de photographie, accompagnés de texte, seront cependant tout aussi peu légitimes dans le champ littéraire. Tous notent la tendance à l’esthétisation des livres de photographies, y compris dans le domaine de la photographie documentaire. Selon Valentina Vannicola, il y a là un enjeu qui va au-delà de celui de l’intérêt commercial, et qui tient à la structuration des champs. Il faut accepter que la photographie fait désormais partie intégrante de l’art contemporain et répond à ses impératifs, notamment en termes de formats éditoriaux : ainsi, elle remarque la tendance toujours plus marquée, chez les photographes contemporains, à rapprocher leurs livres de « livres d’artiste »,  de fabrication souvent personnelle, aux exemplaires numérotés, au tirage limité, et au prix élevé. Elle considère cependant qu’il s’agit seulement d’une branche du monde de la photographie, qui n’est pas hégémonique. Marco Zorzanello regrette que se perde, dans ce contexte, l’objectif même du livre, qui est de diffuser un savoir, et donc de se rendre disponible, du point de vue formel et économique. Gilles Saussier affirme quant à lui que faire des livres, pour le photographes, est un moyen justement de s’échapper du monde de l’art, d’ouvrir un espace plus personnel où il peut tenter de perturber la hiérarchie entre texte et image. Pour lui, être photographe est davantage être chercheur qu’être artiste. 

Marie Gaboriaud


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie Gaboriaud (14 février 2025). Fototesto, paesaggio ed espressione editoriale – Compte rendu de la journée d’étude. ARGEC. Consulté le 17 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13bga


Marie Gaboriaud

Chercheuse en littérature française à l'Université de Gênes. Responsable du carnet.

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